Le métissage, entre fantasmes biologiques et réalités socioculturelles

Article de Réseau Canopé https://www.reseau-canope.fr/

Le terme « métis » est issu du bas latin mixticius (du latin classique mixtus) qui signifie « mélangé ». Jusqu’à très récemment, les dictionnaires évoquaient un « croisement de races » avant de remplacer ce dernier terme par « ethnie », utilisé bien à tort comme un euphémisme acceptable de « race ». La notion de métissage mérite donc d’être questionnée, critiquée et clarifiée.

Un concept ambigu

Les sciences s’accordent sur le fait que la notion de métissage est dénuée de réalité biologique, puisqu’elle postule au départ l’existence des races. Au-delà des mélanges de couleur de peau, elle est donc sérieusement limitée.

S’il ne s’agit pas de nier que l’union de deux personnes, quelle que soit leur couleur de peau, engendre un individu d’un phénotype intermédiaire, des concepts d’origine esclavagiste comme métis, quarteron (un quart de « sang noir » chez un individu) ou octavon (un huitième) ne sauraient, eux, dépasser le cadre de la perception sociale et de l’approximation empirique. Dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, le test du stylo qui tombait à terre ou demeurait pris dans les cheveux fondait les statuts juridiques de « métis » ou « noir ». Il trahissait surtout l’impossibilité d’une science raciale.

Un fait historique ancien

Quels que soient les qualités ou les défauts dont on le pare, le « mélange des couleurs » est perçu à tort comme un fait récent lié aux empires coloniaux européens. Le brassage des populations est pourtant plus ancien qu’on ne le croit et la génétique montre que les Homo sapiens se sont même métissés avec une autre espèce, les Homo neanderthalensis.

Les exemples ne manquent pas dans l’histoire précoloniale. À Toulouse, une chronique du XVIe siècle rappelle par exemple l’union féconde, au début du XIVe siècle, du jeune Anselme d’Ysalguier et de son épouse Salou Casaïs, originaire de l’empire songhaï (Nord du Mali actuel). On connaît par ailleurs les métissages du Nouveau Monde, mais l’on sait moins qu’il y a 10 % de population noire dans le Lisbonne du XVIe siècle. Dans la régence ottomane d’Alger, les kouloughlis sont les enfants de janissaires et de femmes arabes ou berbères.

Dans les colonies de la Troisième République, la question du statut civique du métis n’est pas tant liée au fait de métissage qu’aux différences de statuts civils entre un parent citoyen et l’« autre sujet » de l’empire français (indigène), d’où l’intérêt, pour un enfant métis, que sa filiation paternelle soit reconnue.

Le métis, un intermédiaire

La diversité des discours sur le métissage souligne l’ambiguïté d’un concept marqué par l’héritage de l’esclavage. Dans le système esclavagiste français existent des « libres de couleur », individus libres, donc, souvent issus d’un métissage. Celui-ci renvoie à une transgression de l’ordre esclavagiste, même si l’acte sexuel avec une femme noire conforte la position de l’homme-maître dans la hiérarchie sociale sur la femme-esclave. La recherche historique a largement constaté que le métissage promeut socialement le métis et sa mère : tous deux accèdent à un statut juridique intermédiaire, mais de condition inférieure à celle du blanc dans les colonies françaises avant 1792, puis 1833, dates d’octroi de l’égalité aux libres par la législative et la monarchie de Juillet. Issu directement ou indirectement d’une union illicite, le métis dispose d’une liberté relative et de compétences qui lui confèrent une position d’auxiliaire du maître, voire de maître d’un rang inférieur. Il est souvent haï des esclaves dont il tient à se distinguer et reste tenu pour inférieur par le maître qu’il hait lui-même. Pour l’esclave, il est celui qu’on accuse en créole de renier sa mère : « Milat ka di negwess pa mamman ai » (« le mulâtre dit que la femme noire n’est pas sa mère »), mais il peut aussi, comme Louis Delgrès en Guadeloupe en 1802, prendre la tête d’une résistance active (contre le général Richepance, envoyé par Bonaparte pour rétablir l’esclavage).

Hantise (mixophobie) ou éloge (mixophilie) du métissage

La Chine des Ming ou le Japon du XVIe siècle se montrent mixophobes à l’arrivée des Portugais. La mixophobie de Thomas Jefferson, dans ses écrits de 1785, révèle surtout les tabous de la société de plantation, puisque Jefferson était lui-même le père d’enfants métis. Dans son Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855), Joseph Arthur de Gobineau estime que le métissage conduit à la décadence de l’espèce humaine. Pour les théoriciens raciologues des XIXe-XXe siècles, le métis perd les qualités intrinsèques d’une race et n’a aucune volonté d’en perpétuer une, ce qui fait de lui un être médiocre et indolent. Le métissage noir-blanc qui unit le supérieur et l’inférieur est pour eux l’horreur suprême, idée reprise par Hitler dans Mein Kampf avec la dénonciation de la France, État mulâtre coupable d’une « négrification » (Vernegerung) de l’Europe.

C’est dans l’imaginaire antiraciste que le métis retrouve un certain nombre de qualités à la fin du XXe siècle : il est associé à la notion de synthèse des contraires, d’enrichissement ou d’adaptation. Le discours antiraciste, savant ou populaire, fait du métis l’alternative « mélangiste » à l’ordre raciste, voire un modèle de l’adaptation, ou le modèle esthétique d’un monde post-raciste dont la beauté et la sensualité sont les poncifs récurrents. On chante un métissage stéréotypé, où la couleur de peau fait identité, le mélange phénotypique impliquant obligatoirement un métissage culturel, lien entre la ville et la jungle ou entre les pieds nus et les chaussures.

Cette réutilisation dans un autre sens des clichés dénoncés ne relève pas d’un discours antiraciste étayé, quelles que soient les intentions de leurs auteurs. Elle est à éviter dans un corpus pédagogique préoccupé de cohérence et de rigueur.

Une catégorie insaisissable et une expérience

Le concept de métis au sens commun sous-entend l’existence de races. Or l’expérience métisse peut différer selon les sociétés, puisque tout non-blanc était dans le cadre ségrégationniste étasunien un colored, quelle que fût la nuance de sa couleur de peau. Il existait d’ailleurs entre colored une règle non écrite de nuances de couleur fortement corrélées aux appartenances sociales. À la Martinique, au début du XXe siècle, le sénateur Lémery était tenu en tant que mulâtre de se conformer aux usages martiniquais non écrits. À Paris, il devenait invisible dans une société dépourvue de codes de comportement raciaux. La nuance phénotypique et l’ascendance ne font pas le métis. Le Martiniquais Raphaël Élizé était plutôt noir à Sablé-sur-Sarthe où il fut élu maire en 1929 et Barack Obama demeure noir aux yeux de nombreux Américains. L’historien Serge Gruzinski évacue d’ailleurs cette dimension biologique en affirmant que le missionnaire, l’interprète ou l’Européen transformés au contact de la culture d’accueil de Mésoamérique sont, de fait, des métis. A contrario, l’union de deux personnes de couleurs différentes mais issues du même milieu socioprofessionnel apparaît au sens commun comme un métissage alors qu’elle relève d’une forte endogamie sociale.

On ne saurait par conséquent se représenter l’humanité comme un ensemble de couleurs homogènes où les métis ne seraient que des « accidents à la marge ». Les circulations mondiales entretiennent un métissage permanent entre les membres des groupes dont l’homogénéité apparente n’a jamais été que temporaire et relative. Le seul métissage possible au regard de l’expérience historique relève du social et du culturel.

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